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Dans la peau du médecin

Dr Patrick Bellemare

Pascaline David, journaliste 

Sylvain David, illustrateur

Les images de panique qu'on voyait dans les médias, en Italie notamment, m’apparaissaient cataclysmiques par rapport à ce que nous vivions ici, au début de la pandémie. Nous avions de l’avance et l’intention de faire notre travail de notre mieux pour que la situation ne devienne pas incontrôlable. J’ai rarement connu une communion des esprits aussi forte pour adapter l’environnement et les façons de faire.

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Évidemment, la pandémie était choquante pour nous aussi, mais on y faisait face très concrètement. Je voulais donc montrer le vrai visage du quotidien dans les hôpitaux. Car, derrière tout le mystique des milieux de soins, il y a des humains qui ont leurs craintes, leurs appréhensions et qui sont capables d’amener une touche d’humanisme à des situations qui semblent terribles. 

Dr Patrick Bellemare

Le Dr Patrick Bellemare est pneumologue, intensiviste et chef médical des soins intensifs du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal qui comprend l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Durant la première vague de la pandémie, il s’est prêté à un exercice peu commun. Pour Radio-Canada et TVA, il s’est improvisé journaliste-caméraman afin de collecter des images au cœur de son unité. Il a également mené des entretiens avec ses collègues afin de recueillir leurs impressions et leurs ressentis.

Caméra d'action vissée sur la tête, le médecin a déambulé toute la journée à travers les différents étages de l'hôpital du Sacré-Cœur de Montréal pour recueillir les témoignages et ressentis de préposés, d'infirmières, de pharmaciens et de médecins. Il est également entré en « zone chaude » des soins intensifs, aussi appelée Covidland, où se trouvent les patients atteints de la COVID-19.

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Pour cela, il a fallu réfléchir à une méthode de prévention des infections adéquate. Le défi était de porter l’équipement de protection individuel (EPI) en même temps que la caméra, sans prendre le risque de se contaminer. Avec l’aide d’un collègue microbiologiste, le Dr Bellemare a mis au point un protocole pour désinfecter la caméra en l'immergeant directement dans une solution antiseptique à base de peroxyde, utilisée pour décontaminer tous les objets courants qui entrent et sortent d’une zone chaude.

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Dr Patrick Bellemare est intensiviste. Cela signifie qu'il passe ses journées à réanimer des patients. S’il est donc habitué à ces procédures médicales, l’une d’entre elles s’est avérée particulièrement difficile. Il a dû réanimer une collègue avec qui il travaille depuis plus de 20 ans, lorsque celle-ci a contracté le virus.

Aujourd’hui, sa collègue est parfaitement rétablie. Mais toutes les histoires ne finissent pas aussi bien. Une autre de ses collègues, une inhalothérapeute, lui a confié les soins de sa mère pour investiguer une tumeur des poumons. La procédure a été retardée par la première vague où tous les services ont été mis en pause pour soigner des patients atteints du coronavirus. 

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Au moment de notre entrevue, le 22 avril 2021, le Dr Bellemare travaillait toute la semaine dans la zone chaude des soins intensifs. Avec son équipe, il a fait face à la flambée de la troisième vague. Selon lui, et bien d'autres experts, le virus a changé. Désormais, la maladie semble plus sévère et plus contagieuse. Au début de la pandémie, environ 12% des patients hospitalisés en raison de la COVID-19 se retrouvaient aux soins intensifs. Désormais, ce chiffre est de 50%, à l'hôpital du Sacré-Coeur.

 La maman de ma collègue a subi une opération chirurgicale qui s’est bien déroulée. Mais elle a attrapé le virus à l'hôpital. Et elle en est décédée. Survivre à un cancer pour mourir de la COVID-19, alors que l’investigation a été retardée par le virus lui-même… J’ai beaucoup de difficulté avec ça. J’ai traîné cette histoire dans mes tripes pendant longtemps.

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Il n’y a rien de pire, quand on se fait qualifier d’ange-gardien, que d’avoir un proche qui meurt de la chose qu'on combat tous les jours. De se dire qu’on n’a pas su protéger ceux qu’on aime. C'était une situation d’autant plus difficile à vivre que j'ai perdu ma propre mère [pas de la COVID] durant cette période.

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J’ai aussi vu davantage de drames cardio-vasculaires l’été et l’automne dernier. Beaucoup de gens n’avaient pas consulté. Ceux qui sous-estiment la COVID-19 ne réalisent pas que s'ils ont un accident de la route, un cancer ou une crise cardiaque, c’est ça qui les emportera trop vite parce qu’ils n’auront pas accès aux services qui ont été paralysés avec la crise sanitaire. Ça n’épargne personne.

J’ai passé ma journée avec un N-95 collé au visage, une visière à ne pas voir clair, et à transpirer. Mais on s’attend à ce que je fasse mon travail mieux que d’habitude avec une clientèle plus malade et plus jeune que lors des précédentes vagues. Actuellement, j'ai une douzaine de patients COVID, dont quatre ont entre 40 et 50 ans, et un seul est âgé de plus de 70 ans. Le reste est âgé de 50 à 65 ans.

Les patients atteints de la COVID-19 peuvent avoir besoin de soins très lourds. Sur ces photos, que nous avons reçues en exclusivité de la part du Dr Bellemare, un patient subit une canulation pour un appareil cœur-poumons, le 28 avril 2021. Cette procédure consiste à rediriger la circulation sanguine à travers une machine dans le but de maintenir les fonctions vitales.

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Crédit : Dr Patrick Bellemare
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Crédit : Dr Patrick Bellemare

Le Dr Bellemare insiste. Le succès de son travail repose sur l’effort d’une équipe et non pas d’un seul individu : 14 intensivistes et environ 200 membres du personnel ont réfléchi ensemble aux meilleures manières de faire face à la pandémie. Comme dans de très nombreux établissements de santé, tout a été mis en pause à l'hôpital, lors de l'arrivée du virus. L'équipe s'est retrouvée submergée sous les préparatifs afin d’adapter l’infrastructure, les procédures, les protocoles et les gestes médicaux courants.

Avant la pandémie et au début de la première vague, l’hôpital du Sacré-Cœur comptait trois chambres en pression négative dont une aux soins intensifs. Ces salles empêchent l'air potentiellement contaminé de s'échapper vers d'autres pièces. Des modifications technologiques majeures ont été réalisées avec l'aide d'ingénieurs biomédicaux, pour que l'établissement puisse accueillir une cinquantaine de patients en soins intensifs en pression négative.

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Pour le médecin, la solution à cette crise n’est pas aux soins intensifs, mais dans le salon des gens. Dans leurs habitudes les plus élémentaires.

Il n'est pas rare de rencontrer des patients, à l’hôpital, qui ont complètement fait fi des recommandations sanitaires. Ils ont continué à faire des fêtes de famille ou entre amis, et ils se retrouvent sous ventilateur. Cette situation peut durer longtemps si un effort collectif n'est pas fait.

La mobilisation a été inédite dans les établissements de santé. Mais beaucoup de gens se sont épuisés à la tâche et les autres maladies n’ont pas disparu. On arrive à faire notre métier relativement bien, mais les troupes sont très fatiguées. Physiquement et psychologiquement.

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Durant l'entrevue, le médecin était relativement optimiste quant à la capacité du Québec à se relever de cette crise sanitaire. Toutefois, il est beaucoup moins enthousiaste en évoquant la situation à l’échelle systémique. Pour l'intensiviste, nous n'avions pas encore vécu les soubresauts les plus sévères de la mondialisation, jusqu'à cette pandémie. Alors que les pays riches ont un accès privilégié aux vaccins, les moins nantis manquent de ressources. Le Dr Patrick Bellemare estime qu'il est nécessaire de repenser les modes d'approvisionnement, de faire preuve de davantage de solidarité et de réagir plus vite si un autre virus ou un variant plus agressif venait à apparaître. Selon le rapport du groupe d'experts de l'ONU sur la biodiversité (IPBES), les pandémies pourraient devenir de plus en plus fréquentes et virulentes à cause des changements climatiques et de la baisse de la biodiversité.

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